Et puis mon téléphone a sonné…
J’étais en pleine tournée de
soins, dans les deux premières heures de ma matinée. Les plus tendues, les plus
pressées, celles où les soins se succèdent à une vitesse folle. Celle où l’on
comprend qu’on aurait dû faire l’impasse sur le maquillage plutôt que sur le
petit-déjeuner, celle où l’on voudrait rattraper le temps qu’on a perdu à se
décoller du lit.
Devant la porte de cette vieille
patiente chez qui je me rendais sans trop d’envie, j’ai entendu mon téléphone
sonner dans la poche arrière de mon jean. J’étais dans un des rares endroits où
je captais et je savais que si je ne répondais pas maintenant, je ne pourrais pas rappeler
la personne avant un bon moment. La voix que j’entendais
était hésitante. Elle prenait son temps pour poser des mots que je ne
comprenais pas vraiment. Il y a des gens vraiment pas doué pour parler au
téléphone, et ce matin je n’avais ni la patience ni l’envie de prendre le temps d’aller à la pêche
aux info’ alors je me suis impatientée : « Excusez-moi mais je vous ai mal
entendu… Vous pouvez parler plus fort s'il vous plait ? ».
- Euh oui… C’est moi… Voilà… Je
voulais juste t’appeler pour te prévenir que… Maman ne rentrera pas comme prévu
chez elle aujourd’hui… Elle est décédée hier à l'hôpital… Voilà… Je... Je voulais te
remercier tellement, toi et ton collègue pour tout ce que vous avez fait pour
elle… Enfin je veux dire… C’est pas facile… Je…
Bam.
La claque que je venais de me
prendre me plaqua direct' contre le mur qui se trouvait derrière mois. Je l’écoutais se démener
avec ses mots. Avec ces mots maladroits entrecoupés de sanglots que je lui
avais demandé de reformuler parce que j’étais trop pressée, trop agacée pour
tendre l’oreille la première fois. Je me suis sentis tellement con. Des mots
moi, je n’en avais plus… J’étais adossée contre le mur blanc de cette façade
sale. Je sentais le crépi épais et dur rentrer dans ma peau à travers le léger
débardeur que je portais pour cette chaude matinée d’été.
« Elle est morte. » Je
lui ai dit combien j’étais désolée. Je lui ai dit d’embrasser fort sa famille
pour moi. Je lui ai dit que je pensais fort à elle et à sa Maman. A toi qui aurais
dû mourir chez toi comme tu le voulais, à toi qui sera partie entourée de
presque tous tes proches… Et en présence de ces soignants qui n’étaient pas moi...
Je me suis sentie con une deuxième fois d’avoir pensé ça. Tu
es partie reposée et entourée, c’est tout ce qui importait. Mais j’aurai tellement,
vraiment, voulu te revoir une dernière fois…
« Elle est morte… ». La
rose un peu fanée qui se trouvait dans ce vilain rosier qui me faisait face
s’est mise à bouger. Un bourdon en train de butiner le peu de pollen qui
y restait venait d’en décoller en faisant ce bruit sourd. En repartant il
a fait tomber sur les gravillons un pétale rose, très pale. Je me suis
accroupie pour le ramasser. Le pétale était très joli et pourtant il provenait
d’une rose fanée et d’un rosier vraiment laid qui tentait de survivre au
milieu d’un jardin sec et complètement abandonné. Je ne sais pas pourquoi, mais
j’ai voulu le garder pour moi ce joli pétale. J’y ai vu comme un signe de toi,
et je ne me suis pas sentie con une troisième fois de penser ça. Pour ne pas
l’abimer en le mettant dans la poche de mon jean, je l’ai glissé dans mon
soutien-gorge, tout contre ma peau, côté cœur.