mardi 19 mai 2015

Certains patients me détestent !



Tous les ans, nous avons le droit au palmarès des professions préférées des français et j’avoue ne pas bouder mon plaisir de voir mon métier dans le haut de la liste (plaisir à demi teinté d'amertume lorsque par la suite, les mêmes français avouent ne pas vouloir exercer notre métier voire ne pas le conseiller à un proche " Ah nan mais c'est un travail qui a l'air sympa, mais très peu pour moi !"). Mais voilà, fort est de constater que même si mes patients aiment ce que je fais pour eux et pour leur proches, parfois, ils me détestent… 

Et quoi de plus normal lorsqu’on exerce un métier humain que d’être confronté à tous ses aspects. Joie, bonheur, agacement, colère : « Je te déteste autant que je t’aime ! ». C’est une ambivalence avec lequel, nous les infirmières, nous avons appris à jongler.


« Vous êtes en retard ! ».
Qui n’a jamais entendu cette phrase alors que, la frange collée par la sueur vous vous démenez pour transporter sur votre dos, votre mallette de soin qui pèse une vache, votre sac à main qui pèse un chat mort, votre boite à prise de sang envahissante avec éventuellement celle pour le pansement, et que vous tentez d’expliquer, l’ordonnance pincée entre les lèvres : « J’ai fais c’que j’ai pu, mais depuis ce matin ça se boutique pas bien l’histoire !  (j’entends par là : bloquée derrière un tracteur, chute d’une vieille patiente, des portes fermées à clé avec des patients sourds à réveiller pour pouvoir entrer, une famille de bébés canards à laisser traverser, et j’en passe…) ». 

Peu importe, ladite patiente est déjà partie en boitant vers le fond de sa cuisine et vous attend depuis un temps qu’elle estime déjà beaucoup trop long, dixit ses doigts qui pianotent sur le bord de la nappe cirée. La patiente s’impatiente. Difficile de faire entendre à quelqu’un qui se lèvre à 5h le matin, que « Non vous ne pourrez pas venir la prélever à son réveil, car oui, vous avez une vie et une couette super molletonnée qui ne vous laisse jamais sortir du lit, saleté de plumard manipulateur ! »

« Mais ça fait parti de votre métier de retirer les fils non ? »
Oui ! D’ailleurs la nomenclature des soins infirmiers éditée par la sécurité sociale, bien qu’obsolète, est somme toute bien fournie ! Mon rôle en tant qu’infirmière libérale est complet et les soins techniques sont nombreux et variés. Oui, sauf que Toutoune est un chien. 
La propriétaire de la bête croisée teckel vs ragondin en est pourtant persuadée : elle peut profiter impunément de mon passage chez elle et de sa prise de sang trimestrielle pour, en même temps, me demander gracieusement de retirer les fils de son chien «Je vais quand même pas payer une consultation chez le véto pour faire enlever trois pauvre fils !»… Restons calme... Expliquer, sans s'énerver, que je n'ai à me substituer au vétérinaire sous prétexte de lui faire gagner du temps et de l’argent. Que je n'ai pas envie de prendre le risque de perdre un doigt alors qu’à l’évidence même, la sale bête ne peut pas me blairer si j'en juge l'état de ma sacoche de soins contre laquelle elle s’énerve depuis tout à l’heure. Que « chacun ses compétences,  chacun son métier et la santé sera bien gardée !» et qu’au rythme où vont les choses, j’irais bientôt faire les inséminations bovines des éleveurs chez qui je me rends de temps en temps…

« Vous pouvez quand même me le faire ce vaccin non ?! »
« Sans ordonnance, aucun soin ne peut être réalisé par une infirmière », c’est un principe contre lequel on ne peut déroger. Un peu comme le mojito sans la menthe ou le barbec’ sans la saucisse (désolée pour les allusions alcoolo-digestives, mais c’est bientôt l’été). 
Il est alors difficile de faire entendre au patient qui s’attendait à être soigné (et qui semble avoir pris de l'avance sur l'été en abusant un peu trop des mojito) qu’il va devoir se lancer dans les démarches que les libérales se tapent à longueur de roulement : décrocher son téléphone, patienter en écoutant cette musique d'attente qui te donnerai envie de te pendre au fil du téléphone si il en avait encore un, demander à la secrétaire de demander au médecin de rédiger une ordonnance et se déplacer au cabinet médical pour aller la chercher. A peine avait-il finit de froncer les sourcils que j'entendais sortir de sa bouche : « Et vous ne pouvez pas le faire, ça ? Ça fait pas parti de votre travail ?». 
De rattraper les manquements des autres ? Non.  

Je serais alors vraiment tentée de lui répondre que : « Non » ce n’est pas possible car à l’école d’infirmière j’ai préféré dormir sur les bancs de l’amphi plutôt que de suivre les modules sur le secrétariat et l’assistanat. Que « non », parce que ma tournée de soins semble diminuer en « temps restant » et augmenter en « choses à faire » et que je ne sais même pas comment je vais trouver le temps de me poser et pisser… Oui, pisser, c’est dire. 
Que « Non » tout simplement « Non ! ». Et j'aurais encore plein d’arguments à lui donner, mais le temps passe et ce qui sort simplement de ma bouche-polie-et-étonnement-souriante est : « Oui, je pourrais le faire, mais ça me faciliterait vraiment, la tâche si vous pouviez vous en occuper, s’il vous plait… (Avec un « Cordialement – bisous » dans la voix) ». Le patient finira par accepter en grommelant sans même s’apercevoir que pendant tout ce temps, je m'étais déplacé pour rien et que je ne serais même pas payé pour le premier passage de ce soin qui ne me rapportera au final que 7€ brut (3€50 net quoi).


«  Elle va aller mieux hein ? Si vous faites ces soins, c’est qu’elle va aller mieux ? »


Tenter d’expliquer à un mari que l’état de sa femme se dégrade. Que le cancer prend le dessus. Que mes soins, que ma présence sont là pour lui apporter tout le confort possible, amènent irrémédiablement à cette réponse : « Alors ça sert à rien ce que vous faites ? Ça sert à quoi de la soigner si vous n’êtes pas capable de la guérir, hein ?! ». Comment lui en vouloir de me détester à ce moment précis ? A l’instant même où cet homme vient de comprendre seulement maintenant et malgré les mots des médecins aux précédentes consultations, que sa femme est en train de mourir et que lui n’est pas résolu à la voir partir...


Dans le silence calfeutrant cette maison où la vie semble d’un coup s’échapper, on ne perçoit plus que le souffle saccadé de cet époux qui perd pied. Et je me retrouve en face, seule témoin, seule professionnelle de santé à entendre sa peine et sa colère : « Elle peut pas mourir, pas après tout ce qu’elle a fait. Pas après ce qu’elle a subit... Les médecins, ils ont mal fais leur travail, vous auriez dû vous en apercevoir... Vous lui faites des piqures, ça sert à quoi maintenant hein ?! Elle a pas besoin de soin, elle a besoin de guérir… Comment je vais dire ça à nos deux fils moi. Ils sont trop jeunes… ».

Alors oui. Parfois on remonte dans sa voiture et on se sait détesté. C’est un sentiment agaçant lorsqu’on exerce un métier pour lequel on voudrait être aimé et reconnu.
Mais il y a des priorités dans la colère. Comme il y a des priorités dans nos soins, dans notre empathie, dans notre écoute, et notre feuille de route. Oui, parfois vous nous aimez. Oui, quelque fois vous nous détestez. Souvent ça nous agace, quelque fois ça nous vexe. Mais rarement cela nous atteint car nous savons à quel point la colère peut être infondée au vue du pire qui se joue au même moment, de l’autre côté de la rue. Je préfère alors être détestée pour des valeurs de soins qui me sont chères, plutôt que d’être aimée par des patients qui m’exaspèrent et qui profitent de cette soi-disant vocation d’infirmière…


Allez, biisou ! ^^

La douce Elo'

- Elle était d’une douceur, tu sais… Je n’en doutais pas et je ne savais pas quoi lui répondre… Quels mots pouvais-je bien trouver...