samedi 25 avril 2015

Coup de gueule infi’ # 8 : " Amour, gloire et santé ", où est ce que ça merde pour les infirmières libérales ?



Je ne sais pas vous, mais moi, s’il y a un truc qui m’énerve, c’est d’être assise en tailleur devant la télévision avec un bol de pop-corn entre les jambes en me rendant compte que je suis totalement larguée dans la série que je suis en train de suivre.  « Amour, gloire et santé » m’était devenu aussi étranger que les notions d’équilibre alimentaire en cette veille d’été. 
De toute évidence, j’avais manqué un épisode, et ça me chafouinais. J’ai donc repris une poignée de pop-corn, et je me suis installée, bien motivée à reprendre le fil de ma série.

« Qu’est ce qui merde ? »
Je me suis posée la question après voir entendu les inquiétudes de Françoise, l’héroïne du film « La vie des gens » d’Olivier Ducray. A l’issu de la projection du film, en présence du réalisateur, elle expliquait son inquiétude de voir notre profession libérale disparaitre au profit des réseaux de santé et autres maisons de soins privatisées, qui nous forceraient à mettre la clé sous la porte de nos cabinets d’infirmières libres. 
Mais « Qu’est ce qui merde chez nous ? Qu’est ce qui merde dans ma profession que je trouve pourtant si géniale ? ». Avais-je les yeux plein de bouse pailletée pour ne pas voir la vérité ? Etais-je à ce point enfermée dans mon monde de licornes et de chatons-mignons que je n’aurais pas vu l’inéluctable… Notre si jolie spécialité était-elle condamnée à péricliter ?


Je ne me suis jamais vraiment penchée sur ce qu’il y avait au-delà de mon métier de soignante. J’entends par là : « syndicats, politiques et médias ». Trois mots qui ne m’ont jamais vraiment attiré. Par fainéantise peut être, par désintérêt surement. Parce que mon statut d’infirmière rurale isolée dans sa brousse me donnait l’impression d’être toute petite aux côtés des 110 000 autres et parce qu’à ma petite échelle j’avais toujours eu l’impression que,  quoi que je dise, quoi je fasse, je ne serais jamais écoutée et prise en compte. Alors à quoi bon... 
Et puis il y a eu l’intervention de Françoise et son inquiétude à demi teintée par son futur départ en retraite (tant mieux pour elle !). Il y a eu les (trop) nombreuses agressions de nos consœurs passées silence par nos politiques plus occupés à nous couper l’herbe sous le pied qu’à nous soutenir, sous l’œil à peine investi des médias à notre encontre. Il y a eu la crise de la sécurité sociale qui ne s’arrange pas et qui frôle l’infarctus à chaque bilan de fin d‘année. 
Et puis il y a eu, Marisol Touraine : « Tin-tin-tin-tin ! » (faire le même bruit que dans les films d’épouvante). Je persiste à croire que si notre profession devait disparaitre, elle serait la première à mettre le coup de pelle qui creuserait notre trou.


Je reprenais une poignée de pop-corn, m’installant confortablement dans le canapé, j’appuyais sur le bouton « play » de ma télécommande. Épisode en cours : « Marisol la Sinistre recherche en vain à reconquérir le cœur de François et n’hésite pas à utiliser son bébé, la « loi santé », pour obtenir à nouveau ses faveurs et les rendre plus unis que jamais. »


A elle toute seule, notre ministre mériterait une saison toute entière, mais au risque de voir les téléspectateurs fuir, je vais la faire courte. Marisol, ministre des affaires sociale, de la santé et des droits des femmes (fin de la dénomination, reprenez votre respiration), s’est attelée comme tout bon ministre qui se respecte à laisser une trace de son passage. 
Mais de trace, Marisol Touraine a préféré creuser un fossé : celui qui sépare les soignants de tout bord d’un gouvernement de gauche qui n’a finalement de socialisme que la rose, mais avec vachement plus d’épines.


Devant ce fossé, il y avait un panneau marqué « loi santé », et un plus petit dessous, noté « 30 bis ». Infirmières, médecin, pharmaciens se sont tous retrouvés d’un côté avec comme seul outils, des stéto’, des feuilles de soins papiers et des banderoles de défilé pas toujours facile à déchiffrer. De l’autre côté il y avait Marisol et sa pioche, et tout un gouvernement prêt à dégainer la pelleteuse pour agrandir le trou que ceux d’en face semblaient vouloir reboucher.


« tiers-payant généralisé, la santé sans payer ! »
On croirait une promotion de grande surface. Le genre de garantie qui fait rêver et qui te fait repartir en même temps avec un caddy rempli de conneries pas prévues sur la liste (genre une mutuelle obligatoire de plus en plus cher à laquelle va devoir souscrire chaque français). 
Le tiers payant généralisé, c’est un peu le produit nouveau que tout le monde trouve génial (« c’est vrai ça, après tout, plus personne n’aura à avancer ses soins ! »), mais que personne ne veut acheter (« mais comment responsabiliser les patients si plus rien n’est payant ? »). Parce qu’on n’est pas sûr de sa rentabilité, même si le coupon de réduction vous promet d’être totalement remboursé (« Oh puis après tout les soignants sont payés assez cher comme ça, ils peuvent bien perdre leur temps en relance auprès des caisses et en paperasse pour toucher les impayés des mutuelles ! »). 
Et si derrière cette banderole de promotion accrocheuse se cachait finalement la privatisation latente d’un système de santé sociale qui s’étouffe ?


Avec le tiers payant, il y a eu le rebondissement des vaccins proposés aux pharmaciens qui n’avaient rien demandé. Pour 10 € (contre 6€30 voire 4€50 chez les IDEL), les concitoyens pouvaient se faire vacciner dans les officines, squeezant au passage les infirmières libérales et les médecins généralistes en leur ôtant un peu plus leur rôle de prévention à la vaccination. Quelle reconnaissance Marisol Touraine avait-elle de notre métier pour ne pas penser à nous concerter avant ? Les syndicats et l’Ordre infirmier ont fais pression : « Projet de vaccination aux pharmaciens : supprimés ! », you win ! Tout ça pour ça… Et pendant ce temps là, le coup de masse qu’elle vient de m’asséner sur le coin de ma gueule d’infirmière m’enterre un peu plus profondément dans le sol… Et je me sens de plus en plus petite.


Après l’incident fort fâcheux des vaccins, nous avons eu le droit à la nouvelle promotion « Les soins infirmiers par tous ! » que proposait l’article 30 bis. Celui de laisser des auxiliaires de vie, des aides soignantes ou à tout autre salariés de structures sanitaires (tels foyers logements, centres d’accueil, maisons de retraite médicalisées…) non diplômés des écoles infirmières effectuer des soins infirmiers dans les établissements où le manque et / ou l’absence d’infirmière se faisait sentir. 
Et plutôt que d’embaucher dans les secteurs concernés, Marisol Touraine avait préféré jouer l’économie en rajoutant de nouvelles tâches à des salariés débordés, au détriment de la sécurité des patients. Quelle idée se faisait-elle donc de notre métier pour le dénigrer de la sorte et en laissant des non diplômés exercer un métier que nous avons mis trois ans à apprendre ? Les syndicats et l’Ordre infirmier ont fais pression : « Projet de laisser les soins infirmiers au personnel non diplômé de l’IFSI : abandonné ! », you win ! Et en attendant, un coup de masse de plus…


Le 10 avril dernier, après pression de l’ordre infirmier, l’article 30 bis est tout bonnement abandonné.

Et puis une nuit, à la demande de la députée PS des Côtes d’Armor, Annie Le Houérou, 19 voix contre 10 ont voté la suppression de l’ordre infirmier (32 députés votant sur 577, où étaient donc les autres ?!). Selon elle, notre ordre n’était pas assez représentatif d’une profession forte de plus de 600 000 diplômés. Une députée décidant pour plus d’un demi-million de concitoyens infirmiers, et personne ne sourcille. Formidable reconnaissance de nos instance pour ses soignants... Je me sens toute petite infirmière dans ma brousse, et bien loin de ceux qui nous dirigent d’en haut de la capitale. 


« Qu’est ce qui merde chez les infirmières ? » 
Serait-ce uniquement dû à des gouvernements successifs incapables de prendre soin de ses soignants ? Serais-ce dû au manque cruel de fédération de la profession ? Parfois je me sens seule dans ma voiture ou le cul posé sur le siège de mon cabinet. Je me demande de quoi sera fait notre avenir et si nous serons assez fortes pour nous rassembler et assez nombreuses à se motiver pour se bouger le moment venu…


Parfois j’ai peur que Françoise ai raison. J’ai peur qu’à force de me croire si petite, je ne puisse plus soigner mes gens avec la liberté que mon statut de libérale m’offre et que mon cœur de soignante soit entaché par l’économie, l’incompétence et l’ignorance de certains dirigeants.


La douce Elo'

- Elle était d’une douceur, tu sais… Je n’en doutais pas et je ne savais pas quoi lui répondre… Quels mots pouvais-je bien trouver...