jeudi 20 février 2020

La douce Elo'





- Elle était d’une douceur, tu sais…

Je n’en doutais pas et je ne savais pas quoi lui répondre… Quels mots pouvais-je bien trouver pour réconforter cette infirmière qui venait de perdre sa collègue et qui devait pleurer derrière son écran en m’écrivant son message ? « Elle était douce Elo’ », vous avez été plusieurs à me l'écrire...

Elodie était infirmière à l’hôpital psychiatrique de Thouars et le 13 février dernier, un de ses patients l’a poignardé. Elle est décédée malgré l’intervention de ses collègues. 

La douce Elodie…

Je ne regarde plus trop les médias, mais j’ai cru comprendre qu’ils n’en avaient pas beaucoup parlé à la télévision. Un peu sur le net peut-être, mais sans plus. Il semblerait qu'on préfère parler de coronavirus et de branlette sur internet, que du meurtre d'une infirmière... Loin de moi l’idée de faire des raccourcis ou de comparer des professions qui n’ont rien en commun (si ce n’est que ce sont des métiers de la fonction publique) mais ça me peine de me dire qu’on parlerait d’avantage d’un militaire tué en mission, d’un pompier assassiné dans ses fonctions ou d’une prof poignardée en pleine classe… La violence dans les soins n’a rien de nouveau et c'est devenu tellement banale qu'il semblerait que les médias ne soient plus à un coup de couteau près. Et puis, en tombant sur une vidéo de l’Assemblée Nationale, j’ai compris.

On y voit la député Caroline Fiat réclamer une minute de silence en s’indignant qu’aucun hommage n’ait été rendu à Elodie par les représentants de l’Etat. Elle voulait prendre cette minute sur son temps de parole, mais Richard Ferrand, le Président de l’Assemblée, le lui a refusé pour le motif que le meurtre d’Elodie, n’était pas un cas « exceptionnel et solennel ». Tout est dit. Accorder une minute de silence n’aurait rien coûté à l’Assemblée Nationale, et ça aurait pu leur faire gagner un peu d'humanité. Mais il semblerait que le Gouvernement n’est même pas le budget pour un acte gratuit de bienveillance…

Alors je suis allée voir du côté d’Agnès Buzyn alors encore Ministre de la santé. Il y a bien un tweet : « j’adresse mes pensées à la famille de l’infirmière décédée, ainsi qu’à ses proches ». Décédée, ce terme m’a fait grimacer. Madame Buzyn, Elodie n’est pas morte en heurtant un coin du bureau de sa salle de soins par « accident ». Elle a été assassiné par un de ses patients dans le cadre de sa fonction. Appelons un chat un chat et ce décès, un meurtre. Et puis, c’est pas si comme depuis cet été, le service d’Elodie n’avait de cesse d’alerter leur direction pour dénoncer le manque de moyens et de la possible dangerosité de leurs conditions de travail. C'est ce que m'ont rapporté ses collègues après m'avoir dit combien "elle était douce Elo', si tu savais"... La Ministre n'en savait rien. Ses condoléances ont été rédigés quatre jours avant qu’elle ne quitte ses fonctions et l’hôpital public en pleine crise pour lui préférer la conquête de Paris. Courage, fuyions ! Elodie, elle, n’en a pas eu le temps...

Alors, devant l’absence totale de reconnaissance de nos hautes instances, nous avons décidé entre nous, entre soignantes, de t’offrir une minute de silence rien qu’à toi. C’était aujourd’hui, le jeudi 20 février à 14h30, jour de ta sépulture.

Tu t’appelais Elodie. Tu avais 30 ans et tu étais infirmière, au service de l’Etat, de tes patients et de tes collègues. Tu étais maman de deux jeunes enfants, tu étais aimée et tu as été assassinée dans l’exercice de tes fonctions de soignante. Aujourd’hui, tes proches te disaient au revoir. Et nous, même si on ne te connaissait pas Elodie, tu sais, on a beaucoup pensé à toi.

A la douce Elo'...



(suite à une attaque massive de brouteurs, arnaqueurs et autres méchants du web envahissants les commentaires sous les articles, j'ai du me contraindre à enlever la possibilité de laisser des commentaires... Et j'en suis bien désolée !)

samedi 19 octobre 2019

Combien ça me coûte ?




- Tiens, l’autre jour…

Aïe. Je ne sais pas toi, mais moi, quand mes patients commencent leur phrase par « Tiens, l’autre jour… », c’est souvent pour m’annoncer un potin. Une nouvelle pas toujours fraiche et souvent liée au cancer d’un voisin, du fils du voisin ou de la belle-fille de la nièce de la voisine. Un potin, dont je suis souvent déjà au courent parce que je soigne la personne concernée ou parce que la patiente juste avant ma fana de ragots avait elle aussi commencée une phrase par « Tiens, l’autre jour… ».

J’étais accroupie en train de refaire le pansement de ma patiente dans une position qui ne m’était pas vraiment confortable et mes oreilles et mon cerveau étaient en mode filtre-à-ragots. Tout en la soignant avec les yeux fixés sur mes pinces, sa plaie et son pied, je l’entendais ranger ses papiers et pousser de la main le monticule de bazar qu’elle avait accumulé sur sa table. Je me demandais comment aurait réagi Marie Kondo, la star coréenne du rangement. Je pense qu’elle aurait gardé son agaçant sourire et qu’elle serait allée se mettre en PLS dans coin en imaginant devoir ranger le bordel sur la table et dans le reste de la maison. Puis ma patiente a ajouté :

- … J’ai jeté un œil sur mes relevés de sécurité sociale, pour voir les montants de vos soins… Mes oreilles et mon cerveau ont quitté leur filtre-à-ragots pour écouter la suite de sa phrase : … Ça vous fait une belle somme ! 

Bordel. J’aurais préféré l’entendre me parler du cancer du voisin. Ma patiente n’avait pas dit « ça fait une belle somme ! », non. Elle avait dit « ça VOUS fait une belle somme ! » et ça rendait le sens de sa phrase bien différent…

Cette dame chez qui je me rend quotidiennement n’avance pas ses soins. C’est le fameux 100%, le all-inclusive de l’affection de longue durée qui permet à la sécurité sociale de rémunérer directement les professionnels pour les soins nécessaires au bon maintien de l’état de santé de cette patiente. Elle sortait d’une longue hospitalisation de plusieurs semaines qui avait bien dû coûter plusieurs dizaines de milliers d’euros à la sécurité sociale. Mais ce qui semblait l’interroger ce n’était pas ce que me soins allaient coûter à la sécu’, c’était ce que cela allait me rapporter. Sur mon compte bancaire, dans mon porte-monnaie, dans ma poche à moi, son infirmière libérale. On était samedi, j’étais fatiguée. A cette heure, mon homme et nos filles devaient surement être à la piscine. Et même l’idée de les imaginer patauger dans un bouillon de culture tiède au milieu d’enfants incontinents me donnaient envie de rentrer les rejoindre. Je préférais jouer dans l’eau plutôt que d’avoir à rétablir les vérités de ce que je gagnais vraiment. Non pas que je me devais de justifier de mes revenus auprès de ma patiente, j’en avais juste marre d’entendre « oui mais toi, t’es libérale, tu gagnes bien ta vie ! ».

Elle a terminé de ranger ses papiers en classant l’affaire d’un « Vous vous en sortez bien… » qui m’a agacé. J’ai eu envie de souffler à m’en vider les poumons pour me laisser couler au fond de la piscine, là où tout est calme et silencieux. Elle est récurrente cette question d’argent et elle me gonfle un peu avec le temps. Mais je comprends les gens qui me questionnent sur mes revenus. On associe l’argent au libéral comme on associerait le rhum à la Martinique. Dans tous les cas on est saoulé, on sait que l’un ne définit pas l’autre, mais c’est la première chose à laquelle on pense quand on en parle. C’est réducteur et ça ferme souvent le débat autour des vraies valeurs de mon métier (et de la beauté de cette île). Les libéraux encaissent les chèques de leurs patients malades, ils savent exactement ce que coûte la santé et le matériel de soin. Il y a un rapport à l’argent très étroit, presque mystérieux et gênant d’ailleurs. Et pour cause, nous sommes des chefs d’entreprise qui basons nos revenus sur la mauvaise santé des gens. Tout comme les cliniques, les hôpitaux et les HAD mais comme ce sont des structures et non des gens qui vous facturent en tête à tête, cela semble moins gêner les patients.

- Oui enfin j’ai 60% de charges à payer dessus…

« Ah bon ? Tant que ça ? » m’a-t-elle dit l’air visiblement surprise. Ça veut dire que pour une prise de sang à 6€08, je ne touche réellement que 40% de mon soin, soit 2€43. Que pour son soin d’hygiène complet et ses nombreux petits pansements gratuits (car inclus dans le forfait d’accompagnement de 18€40 de l’heure), je touche réellement 7€36. 7€ pour laver, essuyer, habiller, panser et écouter que je coute cher mais que je touche finalement une belle somme. Sept euros… Et encore, après ça, je dois encore payer mes impôts. Elle semblait tomber des nues alors que je terminais de l’habiller. Et comme j’avais le temps, parce que ses soins m’en demandait beaucoup, j’ai commencé à énumérer le montant de tout ce que je devais payer chaque mois pour pouvoir soigner mes patients :

mercredi 28 août 2019

Attendre la grosse vague.




- Je crois que j’ai plus la niaque.


Merde, sérieusement, je lui ai dit ça ? J’avais raccroché quelques minutes plus tôt mon téléphone en ne manquant pas de l’embrasser. Elle, c’était une réalisatrice. Depuis un an et demi, on discute d’un projet de documentaire très chouette sur la profession à travers mes tournées. Un film sur moi mais surtout sur mon métier, sur ce qui m’anime et me donne envie de passer les portes de mes patients pour les soigner. Une chaine semblait intéressée et on devait en rediscuter. Mais elle a le regard de la réalisatrice qui voit et surtout une oreille attentive qui décèle quand quelque chose ne va pas. Elle m’a demandé « tu veux toujours le faire ? »

Oui, non… Oui. Moi et ma putain d’indécision. Celle qui me fait douter à moitié à poil devant mon placard le matin : un gilet, oui, mais qui ferme ou pas au cas où il y a du vent ? Je vais peut-être prendre une écharpe en plus… Le genre de questionnements surfaits qui, même si l’option choisie n’est pas la bonne, ne changera rien au cours de ma vie, si ce n’est le risque d’avoir attrapé un bon rhume.

Et un documentaire, ça changera quoi à la mienne. Et à la leur ?

Oui, non… Oui. J’ai perdu la niaque, je crois qu’il faut que je me fasse une raison. Et si c’était juste la trentaine basculant gentiment vers la quarantaine qui m’enfonçait vers une certaine sagesse ? Celle qui me ferait fermer ma gueule, quand bien même ce serait justifié. Mais c’est tellement pas moi… Je crois que l’échec du FlashMobPostal m’a mis un coup dans l’aile et dans mon envie de me rebeller contre le système de soin pour soutenir la cause des soignants. Avant ça, je disais en souriant que la profession infirmière était difficile à mobiliser. Depuis le FlashMob, je le dis sur un ton grave et résigné : les infirmières n’y croient plus, elles attendent la grosse vague en espérant ne pas boire la tasse. Moi, j’ai déjà le petit goût salé et dégueulasse au fond de la gorge. Et les vagues, j’en ai toujours eu très peur. 
Je les vois comme ça les infirmières : à l’eau, au milieu de la tempête. Certaines s’accrochant à leurs collègues, d’autres à leur proche retraite, certaines à un changement professionnel qu’elles attendent avec impatience comme le matin de noël, quelques-unes s’accrochent à leurs patients, à une odeur de service, aux pauses clopes pleines d’espoir et d’autres sont seules avec leur cœur en bouée à attendre la grosse vague. Celle qui te claque la tête, te fait boire la tasse et te fait couler là où tout est si sombre que le blanc de ta blouse ne parait plus... Pendant longtemps je me suis cru sur la plage à les regarder galérer dans les rouleaux, cherchant un moyen de leur envoyer de l’aide pour les ramener sur le sable. Et puis, fatiguée en me retenant à mon cœur un peu dégonflé, j’ai fini par me retourner et comprendre que j’avais de l’eau jusqu’au cou. D’un côté je surveille la plage en cherchant de l’aide et de l’autre, j’attends la grosse vague comme les autres.

Oui, non… Oui. Ce n’est tellement pas moi tout ça. Attendre qu’on fasse quelques chose pour moi, pour mes collègues sans être sûr qu’on arrivera un jour à faire entendre raison au Gouvernement. A faire comprendre à nos patients que rien ne va plus. A faire entendre que la santé en France est malade et qu’il faut prendre soin des soignants sans trop tarder, avant de couler. Il n’y a pas une semaine où sur le blog, insta ou facebook, je ne reçois pas le mail d’une collègue en train de se noyer et qui envoie une bouteille à la mer via des mots sur un clavier. Je commence à avoir la trouille que personne ne trouve le moyen de nous ramener sur le bord à temps.

Oui, non… Oui. Mon indécision et la crainte de mon avenir dans le libéral grandit de jour en jour. Je me dis que plutôt que chercher à tout prix à regagner la plage, je devrais utiliser les vagues qui cherchent à me couler pour me donner l’impulsion nécessaire afin de retourner à terre. Les vagues finissent toujours par s’écraser sur le sable non ? J’espère seulement qu’elles ne me feront pas trop boire la tasse avant…



vendredi 2 août 2019

On a pas le temps.




- Vous êtes en communication avec le CHU. Veuillez patienter, nous recherchons votre correspondant. Vous êtes en communication avec…


Cinq minutes que je suis au téléphone avec le service dont ma patiente est sortie. La nana que j’ai eu bout du fil me fait régulièrement patienter en me balançant sans prévenir l’énervante musique d’attente quand ce n’est pas le son de ses discussions avec ses collègues qu’elle m’impose. « Tu pars en vacances ce soir toi ? ». Bordel, si elle savait comme je m’en fous. Je bois une gorgée de thé dans la tasse posée sur la table basse devant moi. Il est froid et c’est con, mais ça m’agace. Peut-être parce que je n’ai pas fait ma sieste. Peut-être parce que j’en suis à mon onzième jour travaillé non-stop. Peut-être parce que moi, mes vacances, elles sont déjà passées...

- Ca a été faxé à la pharmacie !

Quoi ? Je venais de reprendre une gorgée de thé et j'ai manqué de m’étouffer. Je la fais répéter. Mon ordonnance d’actes infirmiers serait faxée à la pharmacie de ma patiente à douze kilomètres aller-retour de mon cabinet. . Quand j’ai demandé à la personne que j’avais au téléphone pourquoi mon ordonnance de réfection de pansements (dont j’avais  pourtant demandé l’envoi par la poste une semaine plus tôt) avait été faxée à la pharmacie, elle m’a répondu : pour gagner du temps.

Du temps et de la patience, je commençais sérieusement à en manquer. Je lui ai demandé si on pouvait carrément lever le secret professionnel autour des soins de ma patiente en envoyant également la feuille de transmissions infirmières qui va bien au pharmacien, parce que je ne l’avais pas reçu non plus. La collègue à l’autre bout du téléphone s’est offusquée : « La patiente est bien sortie avec un courrier médical, non ? ». J’ai confirmé. Une vingtaine de lignes écrit par un médecin pour un autre médecin expliquant pourquoi ma patiente était passée par les soins intensifs avant d’être hospitalisée trois semaines chez eux. Cette patiente chez qui j’allais chaque jour depuis deux ans et qui a disparu du jour au lendemain de mes tournées de soins après un gros malaise à domicile. Et puis, plus de nouvelle ni d’elle ni du service qui ne m’avait pas appelé pour me prévenir de sa sortie. La semaine dernière, ma patiente m’a appelé :

- Je suis rentrée chez moi en début d’après-midi. Il faudrait repasser demain matin…

J’ai écarquillé de grands yeux qu’elle ne pouvait voir, lui ai posé deux, trois questions. Ce n’était pas la grosse forme, quelques pansements à refaire, mais elle était soulagée d’être de retour chez elle, et moi d’avoir enfin de ses nouvelles. Quoique, un peu dégoûtée de ne pas avoir été prévenue par le service qui aurait pu en profiter pour me faire un rapide topo de la situation par téléphone. J’ai ouvert mon agenda, effacé des patients dont les noms étaient écrit au crayon de bois pour les décaler autour de midi en croisant les doigts pour qu’ils ne me reprochent pas un retard contre lequel je ne pouvais rien. J’ai noté le nom de ma patiente sans trop savoir ce qui m’attendait chez elle en plus de sa toilette habituelle qui ne durait jamais plus de trente minutes.

mardi 4 juin 2019

Tout va bien madame la Ministre




- Tout va bien madame la Ministre !


C’est certainement ce que vous aimeriez entendre dans nos bouches de soignants madame Buzyn ? Parce que c’est vraiment l’impression que j’ai eu en vous écoutant intervenir ce matin sur France Inter dans l’émission de Nicolas Demorand. Vous faisiez suite à la grève inédite de Lariboisière (le personnel des urgences s’est mis en arrêt maladie) en expliquant que « ça n’était pas bien ». Pas bien d’avoir ajouté du travail aux autres (à ceux qui ont dû gérer les patients déplacés vers d’autres hôpitaux ou services) sans même vous poser la question du pourquoi les soignants de ce service d’urgence en étaient arrivés à cet extrême là : se mettre en arrêt pour faire entendre qu’ils étaient malade de soigner. 

« Il faut surtout lui redonner de l’espoir… »

Ça, ce sont vos mots pour essayer de rassurer ce papa inquiet qui appelait la radio pour vous parler du cas de sa fille, infirmière. Sans vous voir, je vous ai senti vous crisper. Les infirmières, encore… Ce père vous explique que sa fille de 23 ans, diplômée depuis seulement un an, est épuisée. Épuisée de parfois devoir faire trois heures supplémentaires, parce que dans son service elles ne sont que deux infirmières alors qu'elles devraient être trois ou quatre, que sa fille ne rentre qu’à minuit chez elle et qu'elle est si mal de ses conditions de travail qu’elle ne peut plus dormir sans somnifères. Après avoir passée trois ans à apprendre un métier et seulement un an à le pratiquer elle est au bord du burn-out. Pas parce qu'elle n'aime pas son travail d'infirmière non, parce qu'elle n'aime pas les conditions dans lesquelles elle l'exerce. Et là, j’ai tendu l’oreille. Par la fenêtre déjà, parce que la patiente qui m'attendait, aussi adorable soit-elle, déteste tellement mes retards qu’elle me dit que je suis « en avance » quand je suis à l’heure. J’ai tendu l'oreille pour écouter ce que vous alliez répondre à ce papa très inquiet qui aurait finalement pu être le mien :

- Et il faut surtout lui redonner de l’espoir… 

C’est beau, mais on veut pas de l'espoir, on veut juste pouvoir bien soigner nos patients.... Avant d’enchaîner sur un « il y a tout un champ de possibilités ! » tel un beau slogan pour nous faire bouffer des gâteaux à nous en étouffer. Oui, j'ai toussé parce que vous n’offrez à ce papa qu’une solution pour sa fille :  bouger. Bouger vers le libéral (mais en oubliant de dire qu’il faut travailler 2 ans et demi à temps plein en structure avant et qu’on ne s’installe pas en claquant des doigts), vers les PMI (sans penser à préciser qu’il faut avant un diplôme universitaire pour devenir infirmière puer’ ou un gros bagage d’expériences impossible à acquérir en sortie de diplôme si on veut y intégrer un poste d’IDE « classique ») ou vers les nouvelles IPA (Infirmières en Pratiques Avancées dont les premières débutent tout juste leur formation sans savoir à quelle sauce elles vont être mangées). La réponse que vous avez donné à ce papa était en gros (je vous résume hein, parce que vous semblez avoir des difficultés à exprimer vos idées) : « Si votre fille infirmière n’est pas contente de ses conditions de travail à l’hôpital et bien, qu’elle s’en aille ! Y’en aura bien d’autres pour la remplacer... ». 

Ce discours là madame la Ministre, vous ne l’avez pas inventé. Je suis désolée pour vous, mais vous n’êtes pas très originale. Vos prédécesseurs nous l’avaient soufflé bien avant vous. J’ai moi-même fait partie de celles qui n’en pouvaient plus et qui ont quitté l’hôpital en espérant que quelqu’un de bien prendrait ma place… Si tant est que mon départ soit remplacé, ce qui n’est pas toujours le cas, vous le savez bien. Je suis fatiguée de tant de condescendance de votre part. Pourtant, j’ai eu espoir à votre arrivée au Gouvernement. Sans vous connaitre au départ je me suis dit « Tiens, un médecin Ministre ! On va peut-être ENFIN être entendu… ». Bon j’ai aussi cru qu’il me suffisait de mettre mes cours de l’école d'infirmière sous mon oreiller pour les apprendre, que je gagnerais une fois libérale plus du SMIC pour aider mes patients à rester propre chez eux et que j’arriverai à terminer un mois de soins sans avoir un seul rejet de la CPAM… Il faut croire que je suis trop naïve.

Et puis, je vous entendais sourire dans ma radio ce matin, comme vous le faites souvent. Et ça m'a agacé. C’est con, parce que moi je souris beaucoup au travail et généralement je sens que ça fait du bien à mes patients (même à ceux qui gardent leurs sourires au fond d’eux-même vous voyez). Mais vous, quand vous souriez en disant qu’utiliser les arrêts maladie pour faire entendre un mal-être c’est mal, quand vous souriez à un papa en disant qu’il y a tout un champ de possibilités à sa fille sous somnifère pour se barrer de son service, quand vous souriez en affirmant que votre loi santé vise à améliorer les conditions de travail à l’hôpital alors que nous, soignant, savons que c’est faux… Moi, ça me fait perdre mon sourire. Vos sourires n’apportent aucune douceur à vos propos, ils ne font qu’augmenter l’agacement des soignants qui ont l’impression d’être pris pour des cons.

Vous savez hier soir, je lisais un mail que j'ai reçu sur mon blog. C'était une étudiante infirmière qui me disait "je suis totalement dégoûtée du métier...". Elle avait alerté ses formateurs en leur parlant de ses conditions d'encadrement et des conditions de travail qui l'inquiétaient. Elle n'a eu comme réponse qu'un "il faut t'y habituer et si tu n'arrives pas à faire face à ça maintenant c'est peut être que le métier n'est pas fait pour toi". J'étais peinée et embêtée hier soir parce que je n'ai pas su quoi lui répondre. J'avais envie de lui dire que les vrais soins ce n'était pas ça et que non, nous n'étions pas en train de créer une génération de soignants blasés dès l'école, prêt à tout encaisser pour pouvoir soigner.

Vous avez créé une génération d’infirmières cassées, parfois trop épuisées pour oser partir soigner ailleurs pour tenter de recommencer en mieux alors qu’elles ont connu le pire. Vous persistez à ne pas écouter ceux qui soignent par défaut et par dépit parce que vous ne nous donnez pas les moyens de bien soigner. Vous êtes la conséquence de tout ça. Vous aurez beau accusez les gouvernements précédents d’avoir mal fait. Vous êtes la Ministre de la Santé que j’ai écouté ce matin dans ma voiture et vous n’avez fait que m'exaspérer davantage. Je suis triste pour mes collègues de service de voir que leurs  mauvaises conditions de travail restent si peu considérées. Je suis dépitée pour les patients que je récupère en bout de chaîne à domicile et qui pâtissent des mauvaises conditions de soins que vous maintenez en place. Non, rien ne va bien Madame la Ministre.

Alors, au lieu de sourire et de nous expliquer qu’on peut aussi partir si nos conditions de travail ne nous conviennent pas : donnez-nous les moyens de rester et arrêtez de nous donner des raisons de nous barrer !


vendredi 26 avril 2019

Leur dire des choses...

(Handmade Human Heart - Charlotte Le Bon)



- Vous auriez dû me dire. Me dire qu’il allait mourir…

J’ai relevé les yeux de la veine de ma vieille patiente que j’étais en train de prélever. Elle avait parlé avec une voix douce, presque susurrée. Ses yeux étaient tristes sans être déprimés, lumineux mais pas franchement joyeux. Elle avait le regard de ceux qui font leur deuil, de ceux qui donnent le change en répondant « ça va ! » alors que non, ça ne va pas. Mais ça fait tellement longtemps que ça ne va plus, qu’ils ont peur d’emmerder les gens. Elle fait son deuil ma patiente. Qu’elle est conne cette expression... « Faire son deuil, ça prend du temps !», on dirait les conseils pour réussir une bonne tarte. Le deuil, on ne le fait pas, on fait avec, point. Et tu auras beau surveiller dedans de temps en temps pour être sûr que rien ne brûle, que rien ne foire, le deuil aura toujours ce goût dégueulasse qui ne donne pas envie de se resservir une part.

Deux ans plus tôt, c’était la veine de son mari que je prélevais pour la première fois. Il était fatigué alors le médecin avait prescrit un bilan sang complet, au cas où, et il avait eu le nez fin. Je suis repassée peu de temps après pour prélever le bilan pré-scanner et puis ensuite régulièrement pour prélever chacun des bilans sang avant ses chimio'. Sa veine, je la revois encore. Celle de gauche, pas celle de droite. L’angle parfait, pénétrer de temps et pas plus pour faire jaillir le sang. Je la connaissais par cœur. Un peu comme lui, depuis, avec le temps…
Et puis un jour, j’ai vu que rien n’allait plus. Je savais depuis le départ que ce jour allait arriver. Comme si au premier bilan j’avais compris, anticipé, capté qu’il était condamné. Je déteste avoir raison parfois. Le diagnostic du médecin était bon, mais le pronostic était mauvais. Mon patient avait écouté l’oncologue mais il n’avait pas entendu. Il n’avait pas compris ou ne voulait pas comprendre. Cancer, métastase, tumeur… Et puis c’est quoi ces mots ? « Tumeur » ? Il suffit de trancher le mot en deux pour avoir peur… Avec mon collègue, nous avancions à son rythme. Il préférait parler de « problème » plutôt que de « cancer », soit. Il aurait pu dire truc, machin, chose ou même l’appeler « mon connard » comme l’avait fait un ancien patient, j’aurais utilisé le même langage que lui. On ne va jamais plus vite que ce que le patient est capable d’entendre, c’est un principe.

On aimerait leur dire des choses à ceux qu’on soigne. 

Leur dire « vous avez un cancer, vous allez mourir ». Leur avouer « on ne peut rien pour vous, la partie est perdue », comme si c’était un jeu, comme s’il y avait quelque chose à gagner. J’aimerai leur dire combien je me sens parfois impuissante de leur tenir la main et de les écouter me dire que ça ira mieux demain, parce qu’ils sont simplement fatigués… J’aimerai leur dire combien je me sens mal parce que leur truc, leur machin, leur connard est en train de les priver de la vie et que je ne peux rien leur dire parce qu’ils ne sont pas prêts, parce qu’ils refusent d’entendre, parce qu’ils veulent garder leurs œillères pour profiter de leur vie, à leur façon, sans savoir…
J'aimerais dire à certains patients que je suis fatiguée de les entendre se plaindre d'un rien alors qu'il se passe tellement de choses tristes deux maisons plus loin. Leur dire que ce matin je n'avais pas envie d'aller les soigner parce que chez eux ça pue l'angoisse, parce que leur maison me déprime, parce que même lorsqu'il fait beau ils trouvent le moyen de dire que ça ne durera pas. J'aimerai dire à d'autre que je les aime de ces sentiments si étranges qui naissent parfois entre une compresse et une aiguille. Leur dire qu’égoïstement je voudrais qu'ils ne guérissent pas trop vite, qu'ils ne meurent pas non plus... Parce que ma tournée de soins sans eux sera tellement triste. 

Mon vieux patient est mort sans comprendre qu’il était mourant. Sa femme ne l’avait pas compris non plus. Ça a été brutal d'ouvrir les yeux d'un coup. Comment se résigner à voir l’autre partir pour de bon quand on l’a vu revenir chaque jour pendant presque soixante ans de sa vie…

J’ai retiré l’aiguille de la veine de la vieille dame. Et alors que je scotchais le coton boule au plis de son coude, je lui ai dit :

- J’aurais voulu vous dire tellement de choses…

Elle a posé sa main sur mon avant bras et a souri. Un sourire triste et heureux. Un sourire étrange tout droit sorti de son deuil. Elle avait compris, sans que je lui en dise davantage, que parfois le pire pour un soignant, c’est justement parfois devoir garder le silence…


[ Photo : Charlotte Le Bon ]

mardi 26 février 2019

En attendant.



Cet après midi, entre mes deux tournées de soins, j'ai passé 40 min dans cette salle d'attente. 40 min à attendre qu'on vienne me chercher pour me faire passer une écho. Mais l'attente, le coup de barre, la vessie pleine et le ventre creux depuis le matin n'étaient pas un problème, j'avais emporté un bon livre...
.
J'avais un peu peur de ce qu'on pourrait m'annoncer. Un truc moche qui expliquerait mes douleurs au ventre. Celles qui durent depuis quatre jours et qui m'ont pliées en deux à en chialer, calée contre un coussin, en PLS sur mon canapé. Obligée de me faire remplacer par mon collègue, une première en cinq ans d'installation. .
J'ai passé l'examen. On m'a d'emblée demandé si j'étais stressée en ce moment. J'ai répondu "non, mais j'ai uriné du sang...". Ah. C'était une colique néphrétique et comme un grand, mon rein s'en est débarrassé tout seul la veille. Mon rognon droit est apparemment mal formé mais il n'en est pas moins balèze ! 💪🏻
.
Finalement, je vais bien. Enfin, si rien ne s'arrange il me faudra passer d'autres examens mais je n'y pense pas.
Je vais bien.

Il n'empêche, pendant les 40 minutes où j'attendais qu'on vienne me chercher, je me suis posée une question un peu con : et si c'est grave, je fais comment pour le taf ?

J'ai une tournée de bourrin à assurer ce soir et 90 jours de carence incroyable que je peux abaisser à 11 jours. 11 jours de carence "seulement" si je négocie avec mon assurance pro (qui va vraiment finir par me coûter un rein) et le chef de service parce qu'il me faut pour ça être hospitalisée deux nuits. Deux nuits sinon je n'ai le droit à aucune compensation d'arrêt d'activité. C'est pas normal de ne pas être tranquille dans une salle d'attente parce que j'ai peur de perdre de l'argent et ma santé en même temps.

Je hais ce système mal branlé. Je hais ce statut de libéral qui me stress d'avance à l'idée de tomber malade.

Mais je vais bien. Heureusement.

La douce Elo'

- Elle était d’une douceur, tu sais… Je n’en doutais pas et je ne savais pas quoi lui répondre… Quels mots pouvais-je bien trouver...